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C’est un constat que l’on dressait à l’aune des années 2000. Le journalisme est en train de mourir. Plus personne ne lit les journaux et la presse écrite est amenée à devenir un secteur sinistré. Mais ça, c’était avant l’explosion de l’information sur Internet et la multiplication des médias. Décryptage…

L’enquête d’opinion Mali-mètre 2024 de la Friedrich Ebert Stiftung révèle que les réseaux sociaux constituent 35% des sources d’information chez nous ici au Mali, loin devant la radio (29%) et la télévision (22%). Quant à la presse  écrite, elle occupe la dernière place avec 0%. « Le 0% de la presse écrite me permet de douter de la sincérité et de la rigueur de cette enquête. Cela voudrait dire que la presse n’a aucune raison de paraître », commente un confrère.

L’affaire de la société Energie du Mali avec un délestage monstrueux imposé aux consommateurs comme ce ne fut jamais le cas dans le pays est venu rappeler à la conscience des journalistes que les activistes et autres animateurs sur les réseaux sociaux sont devenus désormais la première source d’information des populations. La popularité grandissante de cette nouvelle race de « journalistes » doit aujourd’hui nous amener, nous journalistes professionnels, à regarder nos pieds et à nous poser les questions sur notre survie.

Qu’avons-nous fait de notre crédit, de notre expérience, de notre professionnalisme ? La mise en cause du journalisme crédible est posée depuis trop longtemps déjà et les réseaux sociaux vont finir par enlever le dernier vernis de cette noble profession qui va mourir de sa belle mort, si nous ne nous ressaisissons pas vite.

Nous avons mélangé information et communication comme les activistes mélangent aujourd’hui information et opinion. Nous exigeons des annonceurs des contrats de partenariat qui ne sont en fait que des pactes de non-agression ou encore des contrats de protection et de promotion d’image. Ce n’est pas seulement avec les entreprises. Nous nous sommes permis de signer les mêmes documents avec des personnalités, transformant nos rédactions en agence de communication, des journalistes talentueux en publicitaires aguerris.



Combien de rédactions, depuis le début des délestages incompréhensibles ont tenté d’essayer d’y voir un peu plus clair ?

Combien sommes-nous de journalistes qui, au nom du droit de savoir des publics, ont donné la parole à une partie tierce pour donner un autre avis que les explications vagues de techniciens qui nous roulent dans la farine ?

Pourquoi au nom du pacte de non-agression que certains ont signé avec la direction de la communication de la société EDM-SA, nous sommes arrivés à nous asseoir sur notre éthique et notre déontologie au profit de quelques milliers de francs versés par EDM à chaque rédaction contractante ?

Ne nous voyons-nous pas complices des méfaits auprès du public par notre comportement à vouloir « ne pas dire du mal » d’un « partenaire » qui nous paye des subsides pour cacher ses fautes, erreurs, incompétences et crimes ?


Nous nous sommes transformés en spécialistes de relations publiques et d’influence dans un certain jeu malsain de manipulation et de cache-cache en taisant les faits et en commentant en panégyristes les situations liées à nos « partenaires ». Nous nous sommes prostitués à tel point que le qualificatif de journaliste est devenu une honte pour tous ceux qui restent encore accrochés au sacro-saint métier d’informer, d’objecter, d’éclairer.

La loi du mort kilomètre ou principe de proximité est l’une des toutes premières règles enseignées aux jeunes journalistes. Elle est appliquée dans la presse locale, mais également dans les journaux télévisés, la radio, et tout autre domaine lié à l’actualité.

Chez les journalistes, le principe est très simple : plus un évènement a lieu près de là où se trouve le lecteur, et plus il aura de l’importance à ses yeux, plus le lecteur va s’intéresser à cet évènement. 1 mort dans un rayon d’un kilomètre intéressera plus que 1 000 morts sur un autre continent.

Dans le journalisme, il est essentiel de savoir organiser et hiérarchiser les informations. L’objectif : ne pas perdre son auditoire. Une organisation des informations qui passe également par un tri, parfois difficile, de l’actualité.

Quelle information va-t-on mettre au cœur de son journal télévisé, laquelle sera en UNE du périodique, et quelles seront les news à mettre en avant dans le flash radio ?

C’est là que la loi du mort kilomètre, du principe de proximité, va également s’appliquer.

Les journalistes vont se baser sur quatre proximités différentes afin de déterminer quelles sont les informations à sélectionner : la proximité temporelle, la proximité géographique, la proximité culturelle et sociétale et enfin la proximité affective. Ce que les réseaux sociaux ont bien intégré.

Bien entendu, le principe du mort kilomètre ne régit pas l’entièreté de l’actualité. Les grands reporters, par exemple, sont un exemple concret de l’intérêt du public pour l’actualité à l’étranger, mais à petites doses. Rares sont ceux qui délaissent entièrement la presse locale pour ne s’intéresser qu’à l’actualité de l’autre côté de l’océan.

Ce principe de proximité est tout particulièrement utilisé dans les rubriques des faits divers. La presse parle alors de “hiérarchie” de la mort, carrément. Attention, comme lors de son application dans le choix des sujets présentés dans les autres rubriques, il ne s’agit pas d’émettre un quelconque jugement de valeur. Cette hiérarchisation consiste à déterminer quel sujet est le plus susceptible d’intéresser la cible éditoriale de tel ou tel média.

Même s’il s’agit d’une règle depuis longtemps éprouvée et adoptée par la profession, elle pose tout de même quelques questions. Est-ce que le principe de proximité déroge à la déontologie journalistique ?

Après tout, le but du journalisme est d’ouvrir les esprits au monde. Pas de ne montrer que ce que les lecteurs veulent voir. Certains vont même jusqu’à parler de biais médiatique : une vision de l’actualité biaisée, par les médias eux-mêmes.

Quand bien même les sujets suivant les principes de proximité ont tendance à tirer la couverture à eux, cela n’empêche en aucun cas les journalistes de traiter de sujets plus éloignés des lecteurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe de nombreuses rubriques. Certains médias sont même spécialisés dans les actualités à l’étranger. Le principe de proximité sert davantage à capter l’attention du lecteur (pour ensuite leur montrer facilement des sujets qu’ils ne seraient peut-être pas allés voir par eux-mêmes) que de lui cacher une partie de l’actualité.

Nous en voulons aux videomen qui nous ont pris nos places auprès des annonceurs sans nous demander comment cela est arrivé et comment nous devons nous ressaisir pour reconquérir notre place, jouer pleinement notre rôle. Il ne s’agit pas de concurrence, encore moins déloyale, avec des animateurs sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de créer à nouveau notre métier. Il s’agit juste de faire notre métier dans les règles de l’art. Nous sommes, nous-mêmes, notre propre assassin.

Voici juste quelques chiffres sortis d’une étude réalisée par le leader mondial du logiciel de RP et d’influence, Cision conjointement avec l’université de Canterbury Christ Church en 2017, auprès de 1 857 journalistes issus de 6 pays différents, avec pour objectif de dresser un panorama des différents usages des réseaux sociaux dans le journalisme, ainsi que les grandes tendances.

Nous y apprenons qu’en 2017, 96% des journalistes (contre 69% en 2016 et 53% en 2012) ont intégré les réseaux dans le cadre de leur travail, les utilisant en moyenne deux heures par jour dans l’ensemble des pays étudiés. Les journalistes les plus connectés sont issus des pays Outre-Atlantique, tels que les États-Unis et le Canada.
Outils de veille, de publication ou de promotion, les réseaux sociaux s’imposent de plus en plus, permettant de mesurer l’efficacité d’un article et de déceler les tendances pour produire de nouveaux contenus.

Sans grande surprise, Facebook arrive en tête des médias les plus utilisés (85%). Selon la même étude, 62% des journalistes déclarent utiliser Twitter (aujourd’hui X), la plateforme sociale micro-blogging. Le réseau professionnel LinkedIn complète le podium, avec 51% de journalistes utilisateurs.

Parmi les autres enseignements à retenir de l’étude Cision, on peut souligner que la dépendance des journalistes aux réseaux sociaux a diminué. Ainsi, 46% d’entre eux estiment ne plus pouvoir se passer des plateformes sociales en 2017 (contre 65% en 2016) ; les journalistes français sont les plus dépendants vis-à-vis des médias sociaux avec 55% contre 27% pour les Allemands ; 51% des journalistes utilisent les statistiques fournies par les médias sociaux comme indicateur de mesure de l’efficacité du contenu publié (nombre de partages, de vues, de mentions « like »…) ; la prolifération des fake news et l’usage des réseaux sociaux pour influencer l’opinion public est considéré par 52% des journalistes comme un grave problème qui dégrade leur image.

Nous n’avons pas d’études sérieuses sur le cas malien voire africain. Mais, il apparaît clair qu’il faut s’inquiéter de la mort du journalisme ou plutôt des journalistes professionnels. C’est une question lancinante, portée aujourd’hui à son paroxysme, bien au-delà du désenchantement face à la presse et son comportement.

Journalisme crédible, le mot court sur toutes les lèvres, se jette au visage de celui qui ose se réclamer de la profession même devant les publics les plus insignifiants. L’exigence professionnelle s’est enlisée et perdue dans les jeux malsains, l’indifférence de la paresse intellectuelle, l’hostilité de ceux qui sont dans le dépit. Si le mot journalisme est vidé de son sens, le journaliste peut-il encore survivre ?

Balayons devant nos portes pour donner à nos rédactions leur sens propre, à notre profession sa noblesse d’antan, à nos âmes leur dignité et leur honneur de journaliste, si nous continuons à être des journalistes de métier et de profession.



Abdoulaye Diabaté dit Séga

Source : Sud Hebdo

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