
Au Mali, nous aimons dire que nous sommes un peuple bon, digne, hospitalier. Et ce n’est pas faux. Notre passé glorieux, nos empires, notre culture, nos valeurs de solidarité sont réels. Nos mosquées sont remplies, nos églises actives. Nous parlons de morale, d’humanité, de vertu. Mais une nation ne se définit pas par ce qu’elle proclame, mais par ce qu’elle fait, surtout en période de crise…
Aujourd’hui, notre pays traverse une crise, pas seulement de carburant, mais une crise morale profonde.

Je raconte ici un fait réel. Je suis le patron d’un gardien, membre de ma famille, qui vit chez moi depuis 13 ans. Par solidarité avec ceux qui faisaient la queue devant mon portail, je lui ai demandé de distribuer de l’eau. J’ai payé de ma poche deux grands canaris et des sachets pour rafraîchir les gens.
Chaque jour, il me dit: « Wallahi, patron, il n’y a pas deux comme toi, tu es le meilleur, fo saya !” Mais voilà que j’apprends qu’il revendait les sachets à moitié prix à ses amis.
Je n’ai rien dit. Jusqu’au jour où, assis discrètement à la porte(curiosité journalistique), je l’ai entendu discuter avec un homme qui lui proposait 20 litres d’essence à 65 000 francs à revendre à 100 000. Et mon gardien de répondre: “Mon patron est un toubab, révolutionnaire, mais je vais lui vendre à 90 000.”
Ce même gardien, avec qui je discutais quelques jours avant, dénonçant ensemble les spéculateurs du carburant.
C’est là que j’ai compris. Même quelqu’un que tu connais depuis plus de dix ans, que tu traites bien, peut te trahir dès que l’argent entre en jeu. Et ce gardien, ce n’est pas qu’un cas isolé.
Il est un « symbole » de ce que nous sommes devenus, des gens qui dénoncent ce qu’ils pratiquent eux-mêmes.
On accuse les ministres de corruption, mais on court à la faveur dès qu’un parent entre au gouvernement.
On parle de justice, mais on s’arrange avec les règles quand ça nous profite. On prie dans les mosquées, on jure sur Dieu, mais on vend l’essence à prix honteux juste après la prière.
Nous connaissons ce cycle. Tous les cinq ans, des grandes gueules surgissent. Ils parlent bien, séduisent, dénoncent, et dès qu’ils accèdent à un poste, se taisent. Certains sont déjà dans le système et se gavent en silence. D’autres attendent, tapis, que le Mali tombe pour ramasser les miettes.
Il est temps de sortir de cette hypocrisie collective.
Retrouvons la cohérence entre ce que nous disons et ce que nous faisons.
Ne trahissons pas nos valeurs pour un bidon d’essence ou une faveur passagère.
Sanctionnons clairement les comportements déviants, quels qu’ils soient. Faisons de la religion une force de discipline, pas un camouflage.
Le Mali n’est pas un pays perdu. Il est un pays blessé de l’intérieur d’abord. Mais il peut se relever. À condition que chacun commence par se regarder dans le miroir, sans détour.
Source : Le Poing
