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Avec un essai coup-de-poing intitulé « Cinq têtes coupées », le chroniqueur français Daniel Schneidermann revient sur les horreurs de la colonisation française, trop souvent minimisées dans le récit national.

Daniel Schneidermann est une personnalité connue du monde des médias français : journaliste, éditorialiste pour le quotidien Libération, il est le fondateur de l’émission Arrêt sur images qui décortique la fabrique de l’information pour en exposer, la plupart du temps, les travers.Avec Cinq têtes coupées, qui vient de paraître aux éditions du Seuil, l’homme de médias propose une « enquête sur la fabrication de l’oubli » relative aux massacres coloniaux commis par la France, comme l’indique le sous-titre de son essai.

À l’instar de nombre de ses chroniques, Schneidermann se met en scène avec un constant souci d’honnêteté ; le lecteur doit savoir qui parle et d’où il parle. Voici donc un intellectuel français blanc de 65 ans qui décortique, sur près de 200 pages, les pires exactions de l’entreprise coloniale française et la manière dont elles ont été gommées – euphémisées, effacées, oubliées – du roman national.

Une photo de Raymonde Bonnetain montrant Renée, sa fille, entourée de 13 crânes humains, en 1893. © Photo12/Alamy/Eraza Collection« Boucherie coloniale »Si la manière relève parfois du procédé, Schneidermann se présente comme un enfant élevé, au début des années 1960, dans l’illusion de la France des droits humains, messianique et civilisatrice. « À cinq ans, j’ai déjà un ami noir, écrit-il. Il s’appelle Macoco. Macoco vit avec son papa et sa maman. La maman de Macoco est jolie. Le papa de Macoco est noir. Macoco habite dans une case. Dans la case, toute la famille se couche sur une natte. Maman pille le mil et papa tape sur son tam-tam. […] C’est mon ami Macoco qui m’apprend à lire, dans ce manuel de lecture syllabique des années 1960, Le Voyage de Macoco, à l’école maternelle dans les beaux quartiers de Paris, tout près du Musée de l’armée et des canons des Invalides. »

La France de l’époque n’enseignait pas, on l’aura compris, les horreurs de la colonisation. Elle le fait un peu plus aujourd’hui, sans doute pas assez. Depuis longtemps, Daniel Schneidermann n’est plus le petit garçon qui apprend à lire avec son ami Macoco et ce qu’il nous raconte avec Cinq têtes coupées, c’est son éveil à la froide réalité de la colonisation. Un éveil qui passe par la rencontre avec une image, au Musée de l’armée.Il se trouve que ces cinq bouches mortes m’ont fait la grâce de me chuchoter quelque chose. J’écouterai jusqu’au bout, et vous aussi, j’espère. De ces corps-là, je me ferai griot.Daniel SchneidermannJournaliste, écrivainCette image, qui donne son titre à l’essai, est une gravure réalisée d’après photographie et reproduite dans le journal L’illustration, numéro 2 511. On peut y voir une homme noir accroupi tenant devant lui la moitié évidée d’une calebasse. Sont disposées tout autour, quatre au sol et une sur un billot, des têtes d’hommes noirs.

« J’aurais parfaitement pu passer mon chemin, du pas traînant des visiteurs d’expo, rater cette photo tombée dans l’oubli depuis sa parution dans le magazine L’illustration, le 11 avril 1891. J’aurais pu ne jamais rencontrer la toute première photo qui a projeté la boucherie coloniale à la face réjouie de la Belle Époque. Et ne jamais m’interroger : mais que fait-elle ici, atrocité intruse, au cœur de ce musée voué à célébrer les exploits de l’armée française ? »Horreurs tuesEn matière d’exploits, le journaliste n’en est alors qu’au début de ses macabres découvertes. Son enquête, qui commence par cette image acquise en 2015 par le musée et réalisée à l’époque par le photographe Joannès Barbier, va le conduire dans un dédale d’horreurs que les spécialistes de l’histoire du continent ne connaissent malheureusement que trop bien. Des zoos humains à la folie meurtrière de la mission Voulet-Chanoine, des campagnes du commandant Louis Archinard au massacre de Thiaroye, du « rapport Brazza » aux « conquêtes » du général Louis Faidherbe, Schneidermann décortique l’histoire coloniale et la façon dont elle n’est pas vraiment racontée.

N’Sala devant la main et le pied coupés de sa fille de cinq ans, en RDC vers 1904, immortalisé par Alice Seeley Harris. © Photo12/Universal Images GroupN’Sala devant la main et le pied coupés de sa fille de cinq ans, en RDC vers 1904, immortalisé par Alice Seeley Harris. © Photo12/Universal Images GroupEn détaillant la manière dont il a pris conscience de tant d’horreurs effacées du récit collectif, Schneidermann n’a de cesse de lier ce passé indigeste à un présent dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas totalement évacué les violences raciales ou sexistes. Citant Black Lives Matter et #MeToo, invoquant les mises à mort de Nahel et de George Floyd, le chroniqueur entend bien exposer ces vérités d’hier qui expliquent, parfois, les réalités d’aujourd’hui. « Il se trouve que ces cinq bouches mortes m’ont fait la grâce de me chuchoter quelque chose, c’était plutôt inattendu, désolé », écrit-il à propos des décapités de Bakel. « J’écouterai jusqu’au bout, et vous aussi, j’espère. De ces corps-là, je me ferai griot. »

Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l’oubli, de Daniel Schneidermann, Seuil, 208 p., 20 €.

Source : Jeune Afrique

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